En pleine figure

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« …And the posters scream
safe revolt
& the tired walls barely
fall, graffiti into
dry cement sand… »

Jim Morrison.

Avez-vous déjà aperçu des colleurs d’affiches qui procèdent aux larges découpes d’affiches des stations de métro : superposées, lacérées, détestées, proprement sales, déchirées, couvertes de graffitis. Le sort de ces papiers qui au départ servaient au viol psychique des foules par la propagande commerciale ne nous regarde point, on ne veut même plus remarquer ces montagnes de rouleaux loqueteux, pliés à la hâte, jetés dehors.

Bien sûr, nous les urbains harcelés et las de ce « lettrisme publicitaire » on n’y voit que des amas d’ordures destinés à la surconsommation, surpollution. On n’invente plus de nouvelle vie qui pourrait donner de l’âme et du sens à ces déchets si particuliers sauf le recyclage et la recréation continuelle de publicité, pourtant il existe encore des créateurs de vie altière. Tel m’est apparu Marc Héliès.

Inspiré de la tradition des affichistes des années cinquante comme Hains, Villeglé ou Dufrêne, cet artiste qui n’a jamais réussi à peindre sur du blanc récupère ces papiers hachés aux diverses épaisseurs où s’entremêlent des figures, des lettres, des couleurs, des objets, des graffitis, des empreintes de murs fatigués.

Marc Héliès est un peintre qui aime le vécu de ces affiches devenues « inutiles », son oeuvre picturale et graphique leur donne un deuxième souffle en refusant tout cliché : sa gestuelle est tellement expressive qu’elle devient dionysiaque, la dynamique des jets de couleur voyante et violente s’unit en un contrepoint linéaire noir presque calligraphique représentant toujours le visage d’un démiurge égaré aux multiples facettes - vient-elle de sa passion pour les masques de la Commedia del Arte ? -, dimension iconique de ses tableaux toujours entourés d’une bande de couleur blanche comme une auréole et tout cela se mêle à la mue incessante et kaléidoscopique de lettres et chiffres manuscrits comme chez Basquiat ou exécutés en tampons d’imprimeur comme chez Arman, des citations où la peinture touche le pôle de l’Underground (il arrive de voir sur des couleurs psychédéliques des strophes de poèmes de musiciens rock et si on regarde plus profondément on entrevoit les hiéroglyphes codés des graffiteurs tant persécutés dans les réseaux souterrains), des mots comme des grains d’humanisme, comme l’espoir exprimé par ce visage du démiurge : une bande noire surgissant comme un serpent accompagnant une autre personnification de Dionysos : Sabasios, ce démiurge noir « renfermant l’impossible vivant, son champ mental est le siège de tous les inattendus, de tous les paroxysmes ».

Une synergie absolue entre le travail spontané, expressif et une longue réflexion, une peinture à la matière épaisse, impulsive, imprégnée de lyrisme et d’appel à l écoute de ce visage prophétique qui n’ impose rien mais qui s’offre à celui qui le regarde…

« Comme le monde était beau quand il n’avait que la largeur du visage… »

René Char

Nazira Taïrova