Memento mori (Photographies-installations)

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Les ports sont de vastes ossuaires, et ceux de la guerre et du commerce bien plus encore. Des restes d’acier jonchent ainsi les zones d’ombre au plus reculé des quais, carcasses informes, bribes insignifiantes, à rebuter les charognards eux-mêmes.

De ces amoncellements anarchiques, figures de chaos, Marc Héliès a, dans un premier temps, souligné quelques lignes de construction, quelques possibles articulations, enrichies parfois d’un rehaut de couleur.

L’ombre n’y accorde à la lumière que de rares privilèges dont s’empresse de profiter la surface un instant rassérénée. A ce stade du travail, il pouvait être question de sculpture, à la frontière même du land art, vision éphémère bien vite emportée par les bennes et les pelles à destination d’on ne sait quelle fosse commune.

Parfois cela est arrivé, quand le discret metteur en scène a manqué de rapidité dans la fixation du fragment d’espace qu’il venait de révéler.

Dans la plupart des cas cependant, il est parvenu à obtenir ce qu’il cherchait c’est-à-dire la pérennité non pas du tas de ferraille mais de l’effet produit par l’anodin, brusquement encadré au moyen du plus efficace des procédés d’enregistrement, la photographie.

Et c’est pourtant de tableau qu’il s’agit. Bien sûr, on songe à certain maître du rebut et des friches suburbaines. Comment ne pas évoquer par ailleurs, et plus justement sans doute, tant pas l’utilisation du médium photographique que par le traitement des objets, les savants arrangements de Pascal Kern ? Et cependant, au-delà de ces parentés, c’est bien le charme vénéneux des beautés trop parfaites qui fascine Marc Héliès.

Dès ses premières images, à peine dégagées des tentations esthétisantes, cette idée de la mort en habits de fête s’incruste insidieusement dans loeil et l’esprit du regardeur et s’il fallait inscrire ce travail dans une tradition picturale, c’est vers les natures mortes et plus précisément vers les vanités qu’il conviendrait de se tourner.

De ces tableaux qui fleurirent dès la fin du XVIème siècle, les oeuvres de Marc Héliès possèdent la somptuosité, l’élégance paroxystique, baroque.

Cette tendance s’est affirmée tout récemment chez lui par l’introduction d’une thématique claire, celles des crânes, mais si discrètement traitée ici qu’on croirait avoir affaire à des anamorphoses.

Qu’on ne se méprenne donc pas : si elle joue de l’ambiguïté du médium, cette oeuvre, jeune encore mais si grave déjà, en réfère à la photographie, non par faiblesse de mode, mais bien parce que cette dernère charge formellement le tableau, par la vertu du trompe-l’oeil, du sens le plus constant des vanités : l’illusion des apparences.

Jean-Marc Huitorel (juin 1991)

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